27 avril 2015
Je n’ai pas dessiné le plan, je comptais le faire hier soir et puis minuit est passé sans que je l’aie vu arriver, et le sommeil a commencé à peser sur mes yeux et le souci aussi d’avoir à ne pas me réveiller trop tard ce lundi, ce lundi matin où il était bon que je prenne une douche.
Je n’ai pas dessiné de plan aussi vais-je essayer de faire un plan parlé, tant pis. L’hôtel… en d’autres circonstances, en d’autres lieux on parlerait plutôt de pension, de guesthouse, parce qu’il est de taille plutôt modeste et offre des services basiques, l’hôtel, donc est situé au bord de la rivière, au bord de la Yamuna, rivière sacrée, au bout, à l’extrémité méridionale (et comme la rivière est orientée pas tout à fait nord-sud mais plutôt nord-nord-ouest / sud-sud-est à l’extrémité sud-sud-est ou méridionalo-méridionalo-orientale) de la vieille ville. De là où on est, debout devant l’hôtel Agra, on peut avoir l’impression que la ville n’est pas très grande, que ses dimensions sont en gros (c’est-à-dire pas beaucoup plus) celles de sa vieille ville mais un tour sur Wikipedia m’apprend qu’aujourd’hui (soit tout de même dix-neuf années plus tard) la ville de Mathura compte quelque chose comme quatre cent quarante mille âmes, soit en gros la population de Nice. Et il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que sa vieille ville ait à peu près la dimension de la vieille ville de Nice mais l’impression cependant est toute différente: la vieille ville de Nice en fait comme le cœur, enveloppée et presque cachée par les nouveaux quartiers, ceux de l’ouest en particulier, invisible ou presque si on n’y arrive pas par la mer, et puis les nouveaux quartiers de Nice, ceux qui sont autour de la vieille ville, sont eux-mêmes assez anciens, datent du 19ème siècle, se sont constitués centre de la ville à leur tour (combien de touristes ne prennent-ils pas l’église néo-gothique toute blanche, une mini Notre-Dame dans le calcaire blanc caractéristique de Nice, pour la cathédrale de Nice, elle qui trône au bord de ce qui fut l’avenue de la gare, au milieu d’un quartier nouveau donc qui a dû son extension à l’arrivée du chemin de fer?). Rien de tel ici, pour ce que j’en ai vu les quartiers nouveaux sont récents, sans prétention urbanistique. Mais surtout, mais surtout (car je m’égare, je perds l’image) d’où on est là, au seuil de l’hôtel Agra, le regard droit sur la large rivière sacrée au-delà du ghat…
Le ghat, une parenthèse sur « ghat ». En général j’essaie d’éviter les mots pittoresques, exotiques, je veux dire les mots qui charrient des images, un lieu, un climat, un imaginaire (ou si je le fais, c’est avec une intention maligne, de mettre le mot en contraste avec un texte qui n’a aucune intention, qui n’est mû par aucune intention de véracité, de couleur locale, de réalisme, qui ne se préoccupe pas de rendre compte de ce qui serait la réalité, un intention symétrique en quelque sorte de celle qui me fait supprimer tout nom propre – ou le remplacer par un nom de fantaisie – dans d’autres textes. Le but est alors de rendre compte du lieu sans me servir de mot »s, de noms qui porteraient en eux-mêmes les éléments descriptifs, je ne veux devoir l’évocation qu’à mes mots à moi. Dans le second cas, ce qui motive le texte, c’est le contraste entre une description purement imaginaire et l’appel à la réalité des lieux que charrie le nom, ce que j’attends, disons, c’est que le lecteur se trouve interloqué de voir le texte lui-même moins évocateur que ce que le nom a ramené à sa mémoire. Je pense ici aux Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, c’est un effet un peu comme ça. Mais fermons la parenthèse:) (non, je dois la rouvrir à cause d’un scrupule: ce que je dis là ne vaut que pour mes écrits à prétention – oh, pas bien prétentieuse la prétention, assez modeste au fond, et toute personnelle, peu revendicative de reconnaissance – littéraire. Lorsque je prends des notes de voyage, par exemple, ce sont bien les noms propres que j’utilise en même temps que les descriptions se veulent fidèles et évocatrices mais lorsque je reviens ensuite sur ces notes pour en faire quelque chose de « littéraire », il m’est habituel de retirer les noms, sans beaucoup de succès, je dois l’avouer, je veux dire sans que le texte qui en résulte soit très satisfaisant, il semble plutôt comme un métis bizarre et infécond, un mulet. Une autre coquetterie alors, mais c’est plutôt du passé, et ça vaut surtout pour les voyages en Europe, est d’utiliser plutôt la forme française que, à l’inverse de ce que font la plupart des écrivains contemporains, la forme originale, je veux dire dans la langue du pays. Toujours pour la même raison. Parce que la langue étrangère, l’italien par exemple (et c’est surtout d’Italie qu’il s’agit ici), ramène d’elle-même trop d’imaginaire, que c’est trop facile. N’est-ce pas: si j’écris « Firenze », je n’ai pas grand chose à faire d’autre, la forme italienne va vous rappeler tout de suite et d’abord la gare ou les panneaux d’autoroutes, je n’ai plus qu’à laisser, ensuite, opérer votre mémoire, déposer quelques morceaux de narration de quoi donner à votre imagination le temps de s’étaler, et puis émailler de via dei Bardi, Oltr’Arno, etc. pour raccrocher par points de capiton votre mémoire de femme ou d’homme cultivé qui a vu Florence.
Bon, je ne fermerai pas la parenthèse, c’était ce soir vraiment n’importe quoi parce qu’il était urgent que les 750 mots soient déposés: je dois rentrer, c’est lundi soir, c’est Games of Thrones!